Algie vasculaire de la face : “J’ai failli me tuer”Istock
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Pour Cécilie, “le diagnostic n’a pas du tout été posé comme il aurait dû l'être”. Et pour cause : alors que sa médecin généraliste aurait pu en quelques questions simples établir un diagnostic d’algie vasculaire de la face, elle ne l’a pas écoutée, et Cécilie a fini aux urgences. “Une amie m’a dit : ‘Appelle le 15 parce que tu vas finir par te tuer.’ Elle avait raison.”

Une prise en charge empêchée par des stéréotypes sexistes

Nous sommes en octobre 2023 quand Cécilie se rend au cabinet de sa médecin généraliste, où elle est reçue par un interne. “À ce moment-là, j’étais au fond. Je vomissais depuis la veille à cause des douleurs. Je ne pouvais plus bouger. Mes filles étaient inquiètes, je ne pouvais plus m'occuper d’elles.” Mais l’interne ne l’écoute pas. “Quand il a ouvert mon dossier, il a dit : ‘Ah oui, d'accord, vu vos antécédents, je comprends.’” Comprendre quoi, exactement ? Il n’en dira pas plus. Mais Cécilie, elle, lit entre les lignes : elle souffre depuis plusieurs mois de Covid long, pour lequel elle est suivie par des cardiologues et des neurologues, et elle prend régulièrement de la morphine, qui fait peu effet sur ses douleurs.

Ses “antécédents”, c’est aussi sa situation familiale : Cécilie est mère célibataire depuis près de 10 ans, et sa médecin ne cesse de remettre cet élément sur la table, jugeant que sa “charge mentale” doit jouer sur ses douleurs. Les filles de Cécilie sont grandes et autonomes, pourtant. “L’interne m’a dit que l'examen neurologique était normal. Il ne m’a absolument pas demandé à combien j'avais mal, alors que je ne tenais pas debout. Il s'est permis de me dire : “Ah, vous faites l'hypotension orthostatique ?” Je l’ai corrigé en lui disant que j’avais un syndrome de tachycardie orthostatique posturale 1 diagnostiqué il y a plusieurs mois de ça. Alors il m’a répondu : “Non, ça n’existe pas ça, vous faites de l'hypotension.” Il contredisait deux cardiologues qui avaient posé le même diagnostic !” Qu'importent les comptes rendus dans le dossier de Cécilie.

1. Le syndrome de tachycardie orthostatique posturale, ou STOP, est une maladie qui touche principalement les adolescentes et les jeunes femmes. Elle est définie par une élévation de la fréquence cardiaque en position couchée ou debout. Cette fréquence peut atteindre 120 battements par minute en seulement 10 minutes de position debout. Le STOP entraîne notamment une grande fatigue, des vertiges ou des troubles cognitifs. Certaines patientes expérimentent également des migraines, des envies fréquentes d’uriner, de l’anxiété ou des tremblements. On connaît encore assez mal l'origine de cette pathologie.

“Pensez à prendre du Prozac”

La jeune femme n’est pas en état de se défendre. Elle rappelle simplement au praticien qu’elle est là pour une douleur “absolument insupportable, qui doit être soulagée tout de suite”. Il ne lui prescrit rien mais lui annonce qu’au prochain rendez-vous, il faudra peut-être envisager d'augmenter les doses de morphine. Morphine qui ne fonctionne pas sur Cécilie. “Il m'a conseillé de surtout bien m'hydrater et de réfléchir, éventuellement, à prendre du Prozac parce que je suis mère célibataire.”

Faute d’aide de la part du médecin, Cécilie appelle le 15, auprès duquel elle s’excuse. “Ils ont contacté le Samu pour leur demander de me conduire aux urgences. Là, j'ai été très bien prise en charge. J'ai été hospitalisée en neurologie et le diagnostic a été posé en très peu de temps parce que j'ai des symptômes hyper typiques : j’ai une algie vasculaire de la face. Un médecin généraliste aurait pu établir le diagnostic au cabinet via quelques questions.

Comme l'explique le manuel médical MSD : “L’algie vasculaire de la face se caractérise par une douleur aiguë de la tempe ou autour de l’œil, d’un seul côté de la tête, d’une durée relativement courte (en général de 30 minutes à une heure). Elle s’accompagne d’une congestion nasale ou d’un écoulement nasal et parfois d’un affaissement de la paupière, d’un larmoiement et d’un visage rougi. Les céphalées surviennent en général sur une période de 1 à 3 mois, suivie d’une période de plusieurs mois ou années sans céphalée.” Cette maladie est beaucoup plus fréquente chez les hommes.

“Aujourd’hui, je peux identifier les crises et savoir que la douleur va s’arrêter. Ça donne un peu d'espoir”

Cécilie sort des urgences avec une prescription d'oxygène et d’injections pour les crises. Si les améliorations de son état sont modestes pour le moment - à cause de son Covid long, certains traitements de l’algie vasculaire de la face sont contre-indiqués - elle va mieux sur le plan psychologique car elle comprend de quoi elle souffre. “Je peux identifier les crises et savoir que la douleur va s’arrêter. Ça donne un peu d'espoir.”

Cependant, la colère ne la quitte pas. Car si on l’avait écoutée plus tôt, toutes ces embûches auraient pu être évitées, et elle serait aujourd’hui en bien meilleur état. “J'ai passé des mois avec des céphalées non diagnostiquées alors qu'il existe un service spécialisé auquel j’aurais dû être adressée. J’étais là, à bricoler avec du paracétamol, de la morphine, qui ne servaient à rien pour ce que j’avais.”

Le lundi qui a suivi son hospitalisation, Cécilie a revu sa médecin, qui ne s’est pas excusée. “Ce rendez-vous était prévu pour mes traitements mensuels. J’ai pensé à annuler, mais j’avais envie de la voir pour qu’elle constate ce qu’il s’était passé. Je savais qu'elle avait reçu le compte rendu des urgences, elle savait que j’avais été hospitalisée. Donc j’y suis allée. J'avais traversé tellement de choses, j'avais été tellement dans la douleur pendant tellement de jours. J'avais été traitée à haute dose de cortisone. Elle m'a accueillie en me disant : ‘Vous êtes allée en neurologie ? J'espère que j’aurai un courrier !’ C’est tout. J’étais sidérée, parce qu’il y a la date et l'heure d'entrée aux urgences sur le compte rendu. C’était juste après que son interne m’a renvoyée chez moi.”

“J’ai failli me tuer à cause d’elle”

Cécilie résume, amère : “Je n’aurais pas dû être hospitalisée, je n’aurais pas dû avoir besoin de trouver quelqu’un pour garder mes enfants en urgence. Ça n'aurait pas dû se passer comme ça. J’ai failli me tuer à cause d’elle car elle n’a jamais posé les questions qu'il fallait poser. L’algie vasculaire de la face provoque une douleur qui est connue pour donner des envies suicidaires. Aucun médecin ne peut, normalement, passer à côté de ça.”

Cela fait aujourd’hui des mois que Cécilie ne peut plus travailler. La perte financière est conséquente, mais ce n’est pas le plus grave : elle ne peut plus effectuer des actions simples du quotidien. “J'ai passé sept jours à 200 battements par minute six fois par jour, à tomber 10 fois par jour par terre. La douleur fatigue mon corps et j’ai du mal à manger ou à me doucher : je tombe dans la douche. J'ai honte de le dire comme ça, mais si je n’ai pas de rendez-vous, je ne vais pas me laver pour éviter ça. J'ai des enfants, je ne veux pas risquer quoi que ce soit. J’ai perdu 15 kilos en un an. Si on avait pris en charge ma maladie beaucoup plus tôt, peut-être que je serais moins fatiguée.”

D’autant que l’orthophoniste de Cécilie - qui la rééduque à cause de son Covid long - ainsi que sa kinésithérapeute avaient alerté sa médecin traitante. Mais celle-ci n’a jamais pris leurs avertissements au sérieux. Aujourd’hui, Cécilie a trouvé une autre médecin “sur piston” pour se faire suivre, car là où elle vit, il est impossible de changer de praticien, faute d’offre. Et elle ne peut pas saisir le Conseil de l’ordre pour signaler son ancienne médecin, car celle-ci suit toujours ses filles. Son seul espoir réside dans sa guérison.

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