Femmes et Covid long : le parcours de la combattanteAdobe Stock
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Une grande fatigue, de l’essoufflement, des difficultés d’élocution, des troubles cognitifs parfois graves, une incapacité à rester debout trop longtemps… Voilà certains des symptômes du Covid long, aussi appelé “état post-Covid”. Aujourd’hui en France, Santé publique France estime que 30% des personnes ayant été infectées par le virus SARS-CoV-2 sont concernées. Cela, bien sûr, si l’on s’en tient aux personnes officiellement reconnues comme telles : beaucoup de patients, à l’heure actuelle, peinent à obtenir un diagnostic, malgré des symptômes lourdement handicapants qui les empêchent de travailler.

"Elles m'ont demandé, ébahies : “Mais comment t'as fait pour avoir autant d'examens ?"

Romain, lui-même atteint de Covid long, a rejoint un collectif de patients il y a de ça plusieurs mois. Avec les autres membres, il échange une fois par mois autour d’un café et cherche des solutions pour être mieux pris en charge - ou pris en charge tout court. “Lors de ma première réunion, on m'a demandé de raconter mon parcours de soins. Après ma présentation, les femmes du groupe m'ont toutes regardé avec de grands yeux. Elles m'ont demandé, ébahies : “Mais comment t'as fait pour avoir autant d'examens ?”

Si Romain n’a pour le moment pas obtenu de reconnaissance officielle de son Covid long, il a néanmoins pu passer de nombreux tests. “J'étais en capacité physique et psychologique de faire les démarches. J'ai passé 3 IRM en un mois, par exemple. C'est assez exceptionnel : les femmes de mon collectif m'ont dit que ça faisait un an qu’elles attendaient, qu’elles relançaient leur médecin sans cesse, mais que celui-ci ne leur proposait jamais de faire une IRM. Moi, j'ai eu tous les examens possibles et imaginables, je suis allé consulter le centre des maladies rares et j'ai vu 5 à 6 spécialistes de chaque catégorie pour que chacun apporte son diagnostic. Honnêtement, je n’ai même pas eu besoin de réclamer. J'ai juste énoncé mes symptômes et derrière, ça a suivi.”

La probabilité de développer un Covid long est 22% plus élevée chez les femmes

Romain réalise alors que les femmes qui souffrent de Covid long autour de lui sont dans une situation d’errance diagnostique. Paradoxalement, il l’affirme, elles sont beaucoup plus nombreuses à en souffrir, et leurs symptômes sont plus graves que les siens. D’après une étude publiée dans la revue Current Medical Research and Opinion le 20 juin 2022, la probabilité de développer un Covid long est 22% plus élevée chez les femmes que chez les hommes. Elles ont en outre plus de risques de développer des symptômes psychiatriques (+80%) et des douleurs des oreilles, du nez ou de la gorge (+42%) ou des muscles (+15%). Sexiste, la médecine ? C’est ce que Romain pense. Et c’est ce que les patientes constatent. Pauline, 43 ans, souffre d’un Covid long depuis 2020. Si elle a aujourd’hui le statut d’adulte handicapée, son parcours a été semé d'embûches, et les stéréotypes sexistes - pour ne pas dire les insultes - ont fusé.

“On m’a demandé si j’avais mes règles. Je n’ai plus d’utérus”

Pauline contracte le Covid à 40 ans. À partir de là, elle est régulièrement réinfectée et développe des tendinites à répétition, si bien qu’elle se fait injecter de la cortisone dans les tendons pour calmer la douleur. À l’époque, son médecin traitant, qui n’a jamais vu de tel cas auparavant, est le premier à la prendre en charge. Désemparé, il la réfère au service des maladies infectieuses de l’hôpital le plus proche. “Là, les spécialistes m'ont dit que le Covid était une maladie uniquement respiratoire et que j’étais simplement angoissée. Je leur ai pourtant assuré que depuis le Covid, j’avais eu la diarrhée toute la journée pendant 2 ans et demi sans qu’aucun traitement ne fonctionne. Mais avant même que je puisse finir ma phrase, on m’a demandé si j’avais mes règles. Je n’ai plus d’utérus.”

Covid long : “Tout d'un coup, j'étais devenue débile”

Pauline revient alors chez son médecin, qui lui fait lire son compte-rendu. “Il y avait écrit noir sur blanc que j'étais une “femme hystérique””. Elle apprendra plus tard que de nombreuses femmes reçues dans le même service pour une suspicion de Covid long ont subi le même traitement. Puis, en juin 2020, un rhumatologue met enfin la mère de famille sur la piste de cette maladie. Quelques mois plus tard, la patiente va voir un cardiologue pour des problèmes de tachycardie. Néanmoins, le spécialiste nie la possibilité d’un Covid long. “Avant d'avoir le Covid, j’étais en meilleure forme que je ne l'avais jamais été parce que je sortais de 2 ans de coaching de sport et parce que je faisais de la boxe. Maintenant, j'ai 25 kilos en plus.”

En parallèle, les problèmes neurologiques se multiplient. Un jour, Pauline range ses chaussures au frigo. Jour après jour, elle oublie comment parler sa propre langue. “J'ai eu la chance de rencontrer des orthophonistes qui m’ont sauvé la vie. Quand je les ai contactés en leur racontant ce qui m'arrivait, ils m’ont assuré qu’ils allaient m’aider. Ils m’ont fait passer des tests de français : j'avais un niveau de primaire. Tout d'un coup, j'étais devenue débile.”

“En dormant, j'étais à 140-150 battements par minute”

Au niveau cardiaque, les choses ne s’améliorent pas non plus. “On m'a posé un boîtier. La nuit, en dormant, j'étais à 140-150 battements par minute, l'équivalent d'une personne qui fait un footing. Logiquement, j'étais épuisée le matin.” Un jour, après un malaise cardiaque, Pauline est emmenée aux urgences. “La première chose qu’on m’a demandée, c’est si j’étais stressée”, se souvient-elle, encore amère. Si, aujourd’hui, elle va un peu mieux, les symptômes sont toujours là. Et ça fait 3 ans que ça dure.

Medisite s’est également entretenu avec Clémence*, 36 ans, dont le parcours est similaire. La jeune femme, qui travaille comme accompagnante d’élève en situation de handicap (AESH) contracte le Covid une première fois en février 2022, une seconde fois en novembre. “J'ai très peu de symptômes pulmonaires, essentiellement des symptômes neurologiques : des maux de têtes violents et des insomnies.” Ce sont ces symptômes qui restent, semaine après semaine, mois après mois. Malgré cela, et malgré un premier arrêt de travail, la médecin traitante de Clémence ne lui prescrit pas de médicaments anti-douleurs. La mère célibataire, dont le salaire mensuel s’élève à 950 euros, achète des boîtes de paracétamol et d’ibuprofène en vente libre, l’une après l’autre.

“Elle me prescrit un scanner des sinus alors que je n’ai pas mal aux sinus”

Un jour, une interne conseille à la jeune femme d’aller voir un kinésithérapeute pour ses douleurs. Clémence s’exécute. Le praticien l’affirme : le problème vient des nerfs. Mais pour lui, manipuler la patiente s’avère impossible car elle a trop mal, malgré les anti-douleurs, payés de sa poche. Alors Clémence retourne voir sa médecin généraliste. “Je sors du cabinet avec une ordonnance de traitements contre la sinusite, et elle me dit de bien laver mon nez. Elle me prescrit aussi un scanner des sinus et me dit que dans 3 jours, c’est réglé.” Clémence n’a jamais rapporté de douleurs aux sinus.

C’est une amie de l’AESH, médecin, qui finit par lui prescrire du codoliprane, voyant Clémence désemparée et impuissante face à sa propre douleur. Celle-ci retourne voir sa médecin traitante, qui n’aborde toujours pas la question d’un éventuel Covid long, malgré les symptômes de sa patiente : Clémence fait des malaises régulièrement et il lui arrive de perdre connaissance. “Elle dit que je suis fatiguée et elle remarque que ma tension est basse. Je lui dis qu’on m’a prescrit du codoliprane et que je gère la douleur grâce à ça, mais que la situation n’évolue pas, malgré le kiné. Alors elle me demande si j’ai pensé à aller avoir une psy.” Clémence, pourtant, a le moral plutôt bon et ne montre aucun signe d’anxiété. “Elle poursuit et me dit que les douleurs cervicales, c’est d’origine psy. Je n’ai pas de douleurs cervicales. Elle me prescrit une minerve.”

La médecin lui fait savoir qu’elle a un “profil psy” typique

La médecin, visiblement convaincue que tout est dans la tête de sa patiente, lui fait savoir qu’elle a un “profil psy” typique (Clémence a été victime de violences conjugales par le passé). Nous sommes en janvier, et Clémence a mal depuis novembre. À ce moment-là, son kinésithérapeute appelle la praticienne pour mettre la patiente en arrêt de travail. Et pour cause : dans l’école où elle exerce, les AESH n’ont pas le droit de s’asseoir. De plus, Clémence va au travail à pied. “J’ai tous les jours des problèmes d’essoufflement alors que je n’ai pas de problèmes aux poumons.”

Après un énième malaise, Clémence se rend aux urgences. Sur place, l’équipe médicale réalise que sa tension est extrêmement basse, mais que la patiente ne fait pas d’hypotension orthostatique1 pour autant. “En revanche, on me dit que je suis très tachycarde, ce qui est inquiétant. Finalement, je sors avec un compte-rendu qui indique que je n'ai pas d'hypotension orthostatique mais qu'il faut explorer la piste du Covid long, qui pourrait être à l’origine de ma dysautonomie 2.” Le lendemain, Clémence retourne voir sa médecin, à qui elle montre le fameux compte-rendu. “Elle prolonge mon arrêt de travail et me demande si j'ai vu un psy.”

Covid-19 : une étude établit un lien avec le développement du syndrome de tachycardie orthostatique posturale

La tachycardie et la dysautonomie de la jeune femme auraient pourtant dû mettre la puce à l’oreille à la généraliste. En décembre dernier en effet, des chercheurs du Smidt Heart Institute de l’hôpital Cedars-Sinai (États-Unis) ont publié une étude qui établit un lien entre infection au Covid-19 et développement du STOP, ou syndrome de tachycardie orthostatique posturale. Cette maladie, qui touche principalement les adolescentes et les jeunes femmes, est définie par une élévation de la fréquence cardiaque en position couchée ou debout. Cette fréquence peut atteindre 120 battements par minute en seulement 10 minutes de position debout. Le STOP entraîne notamment une grande fatigue, des vertiges, des troubles cognitifs ou des migraines.

Devant l’insistance de sa médecin traitante toutefois, Clémence décide de se rendre à sa première - et unique - consultation de psychothérapie. “D’après la psy, je n’étais ni anxieuse, ni déprimée. À la fin de la consultation, elle m’a confié que c’était un peu lassant parce que j’étais la deuxième femme de la journée qui venait pour la même raison : elle pensait souffrir d’un Covid long, mais son médecin voulait qu’elle voie une psy alors qu’elle n’avait pas de problème psychologique majeur.” Clémence retourne chez sa médecin, qui lui prescrit un antidépresseur pour ses propriétés antidouleur. “Elle me dit qu’en plus, ça pourra m'aider si je suis déprimée.”

“On leur a fait comprendre quelles étaient hystériques”

Pauline et Clémence, toutes les 2, ne sont ni écoutées, ni prises au sérieux. Plutôt que de prendre en compte la réalité de leurs symptômes et les avis des spécialistes sur la possibilité d’un Covid long, les praticiens à qui elles ont affaire préfèrent les psychologiser (voire les insulter, dans le cas de Pauline, traitée d’hystérique). Ce genre de témoignage, Romain l’a entendu de nombreuses fois. “En toute honnêteté, au début, pour moi, le traitement spécifique des femmes n’était pas un sujet. C'est en rejoignant le collectif que j’ai réalisé que les femmes n'étaient pas traitées comme moi. Je suis tombé des nues parce j’estimais, en tant qu'homme, ne pas avoir été pris au sérieux. Cependant, je suis celui qui, physiquement et psychologiquement, s’en sort le mieux. La situation de certaines de mes camarades d'infortune est dramatique. Sur le plan purement médical d’une part, et parce que ça a été un enchaînement : certaines ont divorcé, ont perdu leur travail, la garde des enfants. Je ne sais pas si on peut tout imputer au Covid long, ça serait un raccourci trop simple, mais je me dis que leur situation en tant que femme a été vraiment prise à la légère. On leur a fait comprendre quelles étaient hystériques.”

Des femmes qui doivent en permanence prouver qu’elles souffrent

Ses “camarades d’infortune”, sont aujourd’hui lourdement handicapées. Romain le constate : l’une bégaie dès qu’elle prend la parole, une autre marche avec une béquille, certaines s’endorment en pleine conversation… Ces femmes sont aujourd’hui à bout, et se ruinent la santé à rappeler leur historique médical en permanence pour prouver qu’elles souffrent. “Parfois, elles peuvent faire preuve d’une sorte d'agacement légitime : c'est exactement le même processus que pour une femme victime de violences conjugales. Mais ça, malheureusement, beaucoup de médecins s'en foutent, ou ils n'ont pas le temps de s’y intéresser. Ça crée chez ces femmes une douleur en plus de la douleur.”

Un autre problème qui vient parasiter la prise en charge des personnes atteintes de Covid long, et en particulier des femmes, réside dans les dérives complotistes qui prospèrent autour de cette question. “Quand on se renseigne sur le Covid long, on peut très facilement tomber sur des sites ou des blogs avec des analyses complètement délirantes, et ça nous dessert énormément. Si bien qu’aujourd’hui, beaucoup de patients vont décrire leurs symptômes sans prononcer l’expression Covid long. Sinon, on nous range instantanément dans la case des fans de Francis Lalanne qui veulent se soigner en faisant des câlins à des arbres.”

“La charge mentale arrange les médecins”

En ce qui concerne les femmes, Romain est persuadé que la présomption d’hystérie ou d’anxiété chronique est aussi une façon de “traiter” ces cas plus rapidement. Le jeune homme compare le Covid long avec la façon dont la médecine considérait l’endométriose il y a encore quelques années. “Quand les médecins étaient encore peu, voire pas du tout informés sur le sujet, c’était plus facile de dire que ça n'existait pas ou que c’était dans la tête.” Autre parallèle intéressant d’après Romain, celui que certains praticiens dressent volontiers avec la charge mentale des femmes. Car pour de nombreux hommes, dont des médecins, cette fameuse “double journée de travail” des femmes qui mène à un épuisement chronique n’existe pas. Pourtant, dès qu’une patiente évoque une suspicion de Covid long, la notion de charge mentale est mobilisée pour expliquer la fatigue ou les douleurs neuropathiques. “Ça les arrange.”

*Le prénom a été modifié.

  1. L'hypotension orthostatique (posturale) est une baisse excessive de la pression artérielle en position debout.
  2. La dysautonomie, aussi appelée dysfonctionnement autonome cardiovasculaire, est un dysfonctionnement du système nerveux autonome caractérisé entre autres par de l'hypotension orthostatique ou une tachycardie orthostatique posturale.

Sources

“Sex differences in sequelae from COVID-19 infection and in long COVID syndrome: a review”, une étude publiée dans la revue Current Medical Research and Opinion le 20 juin 2022.

"Apparent risks of postural orthostatic tachycardia syndrome diagnoses after COVID-19 vaccination and SARS-Cov-2 Infection", une étude publiée le 12 décembre dans Nature Cardiovascular Research.

https://www.nature.com/articles/s44161-022-00177-8

mots-clés : covid long, Covid-19, femmes
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