Chiropraxie et AVC : on démêle le vrai du fauxAdobe Stock
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“Je suis sortie avec une personne qui m’a dit : ‘Je m’en fous si on se quitte, si on se dispute et si on ne se parle plus jamais. S’il y a une chose que tu dois retenir de moi, c’est qu’il ne faut jamais aller chez un chiropracteur, je suis sérieux.”

C’est à ce message, posté sur le réseau social X (le nouveau nom de Twitter), qu’une médecin urgentiste américaine a répondu. “C’est ce que vous dira n’importe quel médecin urgentiste ou neurologue ayant dû s’occuper de nombreuses personnes de moins de 40 ans victimes d’un AVC dévastateur causé par une dissection de l'artère vertébrale due à une manipulation rapide de la nuque par des chiropracteurs”, a ainsi renchéri la docteure Emily Porter.

La chiropraxie, c’est quoi ?

Mais c’est quoi, au juste, la chiropraxie ? “Le principe de la chiropraxie est de traiter des syndromes douloureux vertébraux et des dysfonctionnements de l’appareil locomoteur humain (troubles du système musculaire et squelettique) par des actes de manipulations et de mobilisations manuelles, instrumentales ou assistées mécaniquement”, explique le ministère de la Santé.

"La naissance de la chiropraxie est due à un homme, Daniel Palmer, qui a eu une sorte d'épiphanie à la fin du XIXe siècle", précise à Medisite Nicolas Pinsault, vice-président du Conseil national de l'ordre des masseurs-kinésithérapeutes. Il poursuit : "Un jour, fortuitement, il a rendu l'audition à un gardien d’immeuble en lui faisant une manipulation vertébrale. Il a tiré tous les grands principes de sa thérapie de ce seul élément. Après, la question qui se pose, c'est si les chiropracteurs d’aujourd’hui sont toujours les élèves de Daniel Palmer."

Le ministère de la Santé précise : “Les études réalisées pour évaluer l’efficacité de la chiropraxie ont des limites méthodologiques, elles ne permettent pas de conclure avec certitude tant au niveau de l’efficacité que des risques. Dans les douleurs lombaires aiguës ou subaiguës, la chiropraxie pourrait avoir une efficacité comparable à celle des traitements conventionnels (traitements médicamenteux, kinésithérapie…). Dans les autres indications, les résultats sont peu interprétables.”

Chiropraxie : un engouement grandissant

Autre problème que peut entraîner le recours à la chiropraxie : le retard de diagnostic. "Cela entraîne une sorte d'affaiblissement des défenses critiques, puisqu'il y a une bonne part d'effet magique dans tout ça. Les gens peuvent trouver des bénéfices dans la chiropraxie par le biais de l’effet placebo, alors ils se disent : 'Puisque ça a marché, pourquoi ça ne fonctionnerait pas pour d'autres indications ?' C’est là qu’on voit de vraies dérives", constate le vice-président du Conseil national de l'ordre des masseurs-kinésithérapeutes.

Qui précise : "Les textes réglementaires sont très clairs : quand on a une pathologie, un chiropracteur ne doit pas avoir le droit de vous prendre en charge. Théoriquement, cette méthode est destinée au bien-être."

Un succès également dû aux lacunes de la médecine

Pour autant, il n'est pas ici question de blâmer les personnes qui se tournent vers cette pratique pour soigner leurs maux. Les raisons de cet engouement grandissant sont multifactorielles : une bonne image de la chiropraxie est largement diffusée dans la presse féminine ou sur les réseaux sociaux, et beaucoup de patients sont déçus par la médecine. "Par ailleurs, une séance de kiné, ça coûte 16,50 euros. Une séance de chiropraxie, c'est 4 ou 5 fois plus cher, alors dans l'esprit de certaines personnes, c'est forcément 4 ou 5 fois mieux", analyse Nicolas Pinsault.

Enfin, il admet que les médecins et les kinésithérapeutes ne sont pas forcément bons sur toutes les pathologies : "Par exemple, pour une infection, tout le monde va aller consulter son médecin pour avoir un antibiotique. Par contre, la médecine ne sait pas très bien prendre en charge le mal de dos. Forcément, ça laisse la place à tous ceux qui proposent autre chose."

Une pratique encore peu répandue en France

En France, la chiropraxie est reconnue comme une profession de santé depuis la loi Kouchner de 2002. "Elle a été reconnue par les pouvoirs publics français pour qu’il soit possible de la réguler. La loi avait pour but de donner plus de poids au malade dans son parcours de soin : puisque le patient avait plus de poids, il pouvait choisir des thérapies parfois un peu à côté de ce qu'on proposait en médecine conventionnelle", développe Nicolas Pinsault.

Aujourd'hui, la chiropraxie est loin d'être aussi répandue en France que d'autres pratiques non conventionnelles, comme l'ostéopathie. Toutefois, elle devient de plus en plus populaire à la faveur d'une certaine méfiance envers la science et la médecine.

Chiropraxie : des fondements ésotériques

"Dans la théorie de la chiropraxie, l'injection d'un produit ou d'un médicament est vue comme un poison et il y a une très forte opposition à toutes les politiques vaccinales", développe Nicolas Pinsault. Aussi de nombreuses voix s’élèvent-elles dans le monde médical depuis plusieurs années pour dénoncer, au mieux, une absence d’efficacité, au pire, des dangers pour les patients.

D’après le docteur Charles R Wira III, médecin urgentiste et interniste américain interrogé par le HuffPost, le lien entre les manipulations du cou dans la chiropraxie et la dissection d’une artère cervicale - une cause d’accident vasculaire cérébral fréquente chez les jeunes - est bien connu. “Heureusement, l’incidence globale des dissections du cou est faible. Mais les manipulations intentionnelles et agressives de la nuque devraient attirer notre attention et nous inquiéter”, estime le professionnel de santé.

Chiropraxie : des risques minimes d’AVC

En 2012, une étude publiée dans la revue scientifique The New Zealand Medical Journal indiquait que les risques de la chiropraxie pourraient être sous-estimés dans les rapports médicaux. Les auteurs de cette étude ont passé en revue 60 essais cliniques sur la chiropraxie publiés entre 2000 et 2011. Ils ont ainsi réalisé que 29 d’entre eux ne mentionnaient pas les potentiels effets indésirables de cette pratique, ce qui est pourtant indispensable dans une étude clinique.

En 2019 par ailleurs, une autre étude faisait état d’une jeune femme de 34 ans victime d'un AVC après une manipulation vertébrale chez un chiropracteur. "On a des cas réels d'AVC décrits dans la littérature scientifique, mais ils sont très peu nombreux. Par contre, ce qu'on voit énormément, ce sont des aggravations et des dégradations, voire des écrasements des nerfs après des manipulations vertébrales", note Nicolas Pinsault.

“Un bilan radiologique est le minimum à exiger”

L’un des auteurs de l’étude de 2019, repérée par le docteur et journaliste scientifique Marc Gozlan, exprime sa réserve par rapport à la chiropraxie, qu’il ne faudrait pas prendre à la légère. “J’estime qu’un bilan radiologique est le minimum à exiger avant toute manipulation cervicale. Par ailleurs, toutes les cervicalgies ne sont pas bonnes à manipuler, d’autant que le bénéfice qu’on peut en attendre est un soulagement immédiat alors qu’une médication simple peut suffire”, assure le médecin urgentiste Guillaume Giordani Orsini.

Pour une séance chez le chiropracteur, comptez entre 35 et 80 euros.

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